dimanche 14 avril 2019

Carmine

                                                                                                                                   Bruxelles # XI.17


Pudeur

Elle n'était pas chercheuse. D'ailleurs, cela faisait plusieurs années qu'elle avait laissé l'idée et l'intrigue s'enchevêtrer au néant. Non, elle ne cherchait plus parce que la voix caressante de la passion avait quitté le corps. Tout à l'intérieur comme décomposées, les perspectives d'avenir se disputaient l'absurde. Cela devenait un aveu indésirable en matière de sens. Elle n'était pas non plus une formidable figure de proue sous le beaupré d'un nom. Chaque mouvement visible était orphelin. Personne donc, pas même l'écho de sa propre parole, ne répondait à la danse des sentiments. Quand il pleuvait, elle volait au vent comme un oiseau en ville, suffisante et trempée au-dessus des ruisseaux. Quand l'attente - par signes - était trop longue, elle cachait la détresse sous la pudeur du texte


vendredi 12 avril 2019

Transformation

« But how describe the world seen without a self ? There are no words.
Blue, red — even they distract, even they hide with thickness instead of letting the light through. How describe or say anything in articulate words again ? — save that it fades, save that it undegoes a gradual transformation, becomes, vene in the course of one moves and one leaf repeats another. Loveliness returns as one looks, with all its train of phantom phrases. One breathes in and out substantial breath : down in the valley the train draws across the fields lop-eared with smoke.


           « Mais comment décrire un monde sans avoir un moi ? Il n'y a pas de mots. Bleu, rouge — même eux détournent, même eux cachent par leur épaisseur au lieu de laisser passer la lumière. Comment décrire ou dire de nouveau quoi que ce soit avec des mots articulés ? — sauf que ça s'estompe, sauf que ça se transforme progressivement, et devient, même au cours d'une brève promenade, habituel — cette scène aussi. La cécité revient à mesure qu'on se déplace et qu'une feuille en répète une autre. La beauté revient tandis qu'on regarde, avec son cortège de phrases fantômes. La respiration retrouve son souffle substantiel ; en bas dans la vallée le train traverse les champs avec ses panaches de fumée retombant en oreilles de lapin.


                               Virginia Woolf, The Waves / Les Vagues


dimanche 7 avril 2019

Présence dans la chambre claire

 










le cours #
         
             ║ l'origine # [Lambres 2015]

samedi 6 avril 2019

Contradiction

l'obsession devait tourner rance et les phalènes en papier aguerrir l'habitude  c'est la certitude décomposée qu'il fallait sentir  d'une parole à l'autre  dételer le désir aux choses troubles mais au fond c'est une aporie  ce qui après le lever du soleil devait s'incarner en d'autres termes  d'une jetée de mots le droit à la contradiction


mercredi 3 avril 2019

Coins

            Everything goes. I am working very hard at not thinking about how everything goes. I watch a hummingbird, throw the I Ching but never read the coins, keep my mind in the now.

            Tout fout le camp. Je me donne beaucoup de mal pour ne pas penser à quel point tout fout le camp. Je regarde un oiseau-mouche, je lance une pièce en l'air mais sans regarder si elle retombe du côté pile ou du côté face, je me concentre sur maintenant.


                       Joan Didion, Play It As It Lays / maria avec et sans rien


vendredi 29 mars 2019

Auvent




Lumière

je relève la tête  la lumière en chemin est invisible  toutes les lumières désirables sont de toute façon invisibles  le poème s'effrite sur le chemin de cette invisibilité  une chanson fait la boucle sur un bout de film inversible  il y a des coupures d'images encore muettes comme des lamelles noires qui pourraient habiller mes paupières et me cacher de cette lumière froide


dimanche 24 mars 2019

Im Herzen ( découverte d'elle qui réapparaît )



                                               Herz # 01│02



Injustice

D'ailleurs tu n'auras plus beaucoup de joie. Ainsi vont les choses : non seulement ceux qui doivent supporter l'injustice mais également ceux qui commettent des injustices ne peuvent prendre plaisir à la vie. D'ailleurs je me demande si le désir de détruire d'autres vies ne provient pas de l'absence de désir et de joie éprouvée dans sa propre vie.

                                       Christa Wolf, Médée voix


vendredi 15 mars 2019

Au lieu de vers




Film

partir de la terrasse  mi-ruine mi-nébuleuse  à cet endroit ce n'est plus qu'une levée de terre battue par-delà les armées hagardes  c'est aussi l'étrange d'une forme inéluctable réfléchie à elle-même  l'ultra-violet du paysage est sans limite  en somme rien n'est plus sensible et se transcrit ainsi  les aurores magnétiques sont devenues l'oubli  dans les trains de nuit le gouffre a pesé sur le rêve et c'est ainsi  quelque chose part et emporte les corps écaillés  il reste seulement une compagnie intouchable sur le flanc des lèvres  telles des miettes et des poussières  le film invisible du premier cri


dimanche 10 mars 2019

Rosas




Zone

Encore quelques mots photographiés du débarcadère  mais sans écriteau annonciateur  on ne verra plus de lois physiques sur la jetée   la charpente de l'endroit est de telle façon  disposée en mine lumineuse  qu'elle tamise goutte à goutte l'écoulement de l'algèbre amoureux  et chaque goutte promène sa barque  impérieuse et destinée  derrière la force du soulèvement du coeur  le bruit bas de l'île ne se nomme plus  une excursion en zone intérieure


vendredi 8 mars 2019

Jungle ( les lianes sont rares )




Tulipe


Il rêva. Il dormit. Il ne rêvait pas du tout. Il était plutôt envahi par un lointain sentiment d'amour. Un tablier d'yeux qui tremblaient et clignotaient comme autant d'ampoules. Et puis rien. Rien dans le jardin qui s'étendait jusqu'à la mer. Sinon une fleur sortie d'une de ces ampoules. Une tulipe singulière. Longue, solitaire et noire comme une tache sur le soleil.

                                    Patti Smith, La Mer de Corail

dimanche 3 mars 2019

Dermal






Mars

un bruit sec puis le silence précipité  sous la nuit frileuse où rien n'échappe aux sens  des sarments de coeur se brisent  l'histoire éperdue gagnée par Mars ne sera plus un jeu  au fond de cette imagerie sentimentale on ne pourra voir qu'un amas de fibres tortueuses qui sous la forme d'un nid paisible aura consenti à l'enfer  à tailler en allumettes le tapis de feuilles manuscrites  à mettre l'amour au carreau pour dépeindre la vie


samedi 2 mars 2019

Inclinaison




Ennuyeux

          LUI, presque involontairement.
          — Vous n'avez pas changé.

          ELLE.— J'ai vieilli, je le sais bien...

          LUI.— Je ne parlais pas de...

          LUI.— De visage, oui, vous avez changé un peu.

          ELLE.— Comment ?

          LUI.— Le regard surtout, je crois...
          vous aviez un regard très... doux et puis dès que...
          dès qu'on vous voyait on savait à l'avance
          à peu près... ce que vous alliez dire.

          ELLE, raide. — Ça devait être ennuyeux...
          savoir à l'avance comme ça...

          LUI.— À la fin.
          Dans les derniers mois.
          Oui, c'était très très ennuyeux.


                          Marguerite Duras, La Musica
                                     [Théâtre 1965]




mercredi 27 février 2019

L'étrange instantané




Volute

je sais l'ombre descendante  je sais l'éclat net au beau milieu d'un passage   ce qui arrive à la surface quand il a plu dans la lumière des jours fébriles  regarder la faille jusqu'au déchirement  des heures chiffrées qui s'effacent derrière la ligne d'horizon  une volute en trajectoire  ni trace blanche ni corps modelé à la sortie


vendredi 22 février 2019

Mu




Double

Oublie-moi en passante sur les lattes d'une clôture  n'entends-tu pas la musique du silence parcourir tes organes ? j'étais morte sur images dans un écrin de souvenirs  dedans l'air était aride  en manque de mots je bruissais d'illusions  depuis les fantômes chancellent aux yeux d'une mise au monde  à la sortie d'une prison de la parole les choses sèches s'enveloppent d'un peu de chaux  il y a une longue allée qui consiste toujours à sentir  je passe à toi-même à toi et en moi-même  à la source  les nuits d'azur s'étirent en double


dimanche 17 février 2019

Sonar








                                       La Madeleine # 01-06  [II.19]



Gentiment

Notre chat aux yeux malicieux,
Assis en forêt sur un tronc,
La pipe au bec et canne en main.

Deux jours. Trois nuits.

Invitait les enfants à lire.
Celui qui ne savait pas lire,
Il le tirait par les cheveux.
Mais celui qui pouvait comprendre,
Il le caressait gentiment.

Plus un seul jour. Plus une seule nuit.


        Sofi Oksanen, Purge




mercredi 13 février 2019

Séance

ce n'est pas seulement le bruit métallique d'une résistance qui heurte une résonance  sur la porte il y a des broderies de paroles au fil de fer qui chahutent quand on tend l'oreille   quelque chose fait écho par ce soulèvement d'arabesques   l'image tourne et retourne comme un sautoir de perles sanguines qui dans sa tourmente souligne un fer de lance   l'onde acoustique entre dans son origine  traverse le coeur épais  on entend des nuits entières de silence mais ce qui est or rouge chuchote dans ses sillons   on répète des nuits entières de silence et de sursis dans une poignée en lambeaux   encore  elle s'assourdit de tout ce vacarme sentimental


samedi 9 février 2019

Man

                Als Frau weiß man, wie man heute aussieht.
                       Une femme sait tous les jours à quoi elle ressemble.


      Herta Müller, Heute wär ich mir lieber nicht begegnet / La convocation


vendredi 8 février 2019

Couture




Incomplétude

un air de balade insufflé par une conjuration  mais ni envoûtement ni allure d'influence  un air en marge de soi  clairement la poésie se frayait un nouveau lieu   c'était un matin encore ardoise  le chant habité de l'oiseau revenait à la même place qu'il s'était fait sur le ramage conditionnel de l'arbre
― une évidence ? ― non !   
quelque chose se transportait par la lecture aérée de l'incomplétude  un quartier de lune maudit avait ri au nez des astres  le temps d'une absence  un souffle conscient se découvrait   c'était un fait indicible à une heure crayeuse contre toute attente  sur le tableau noir de l'expérience


dimanche 3 février 2019

Still




Vases

Though her lips are vague as fancy
In her youth ―
They bloom vivid and repulsive
As the truth
Even vases in the making
         Are uncouth.

                                 Si ses lèvres ont le vague d'un songe
                                 De jeunesse ―
                                 Elles fleurissent vives et répulsives
                                 Comme le vrai.
                                 Les vases aussi quand on les fait
                                               Sont grossiers.


                  Djuna Barnes, Seen From the " L" / Vue depuis l' "L"


       

samedi 2 février 2019

vendredi 1 février 2019

Fièvre

tu quitteras mon paysage  tu ne lui emprunteras plus ni l'air ni l'odeur  pas le moindre petit passage de jeu dans le nectar d'une terre  dans le délire de l'horizon les heures froides ruissellent   tu te couvriras du sang-mot sur une route plus accidentée que mon usine à lettres  la vitesse au corps dévorera la veine de ton costume d'homme   tu disparaîtras  de ton cortège mirage sous ton lampadaire malade   il ne restera que des vers blancs réprimés comme toutes les infimes lucioles de la folie   l'énergie de la nuit délirée aussi   les petits silences entrelacés dans l'écriture  tu liras une dernière fois la jonction en rafales   tu légitimeras la Femme-sans-tête  la fièvre vire au bleu mauve



vendredi 25 janvier 2019

Imagine





                                 Florence #  01│02│03  [I.19]



Petit

J'ai les bras douloureux et alanguis
par un désir inepte d'étreindre
quelque chose de vivant, que je sens
plus petit que moi


         Antonia Pozzi, Solitude


mercredi 23 janvier 2019

Neige (écheveau féminin singulier )






                                           neige # 01│02│03



Armée

peut-être parce que je suis née pour rester en moi au lieu de vivre  le passé sert de branche sur laquelle j'observe le présent  dès l'aube j'oppose les sens perdre et garder   la vue d'une histoire à la hauteur    je me fonds à l'écorce de mon semblable — comme ça — je cache les paupières cristallisées par le rêve d'enfant   des yeux couleur armée


dimanche 20 janvier 2019

Fragrance




Chair

Elena, assise au milieu de ses horoscopes, avec des étoiles noires au-dessus de sa tête, des étoiles qui se frayent un chemin dans sa chair, sa chair dorée par le soleil [...] Elena, qui me dit qu'elle va me peindre en Daphné se métamorphosant en plante. Elena qui reprend exactement mes mots : « Il y a tant de gens qui disent des choses que je n'entends pas, et dont je ne me souviens pas.»

                                      Anaïs Nin, Le feu
                                      [20 janvier 1937]


vendredi 18 janvier 2019

Générique




Fragile

il faut partir où aller  par la beauté et par les signes  comme une longue phrase inapprochable  muette la poudre cendrée  infime des entrailles  sortir du décor tissé de pierres   tailler l'ouverture après la série de nouages  mais avant écouter le râle des illusions vermeilles   imprenable brûlure   lire la citation et la main du regard   ce que nous ne pouvons écrire   elle devenue sans l'autre — revenante ou telle — quelques feuilles patientes dans une cavité    et son récit fragile


mercredi 16 janvier 2019

Invisible




Nord

mein Kleid erregt Spott und Gelach
mich bedecken Nordlicht und Stern

                           ma robe suscite une railleuse allégresse
                           seules me couvrent la lumière du Nord et son étoile


              Helga M. Novak, von sehr großer Not / d'une très grande détresse 



mardi 15 janvier 2019

dimanche 13 janvier 2019

Corps

j'aime le matin  c'est une image récurrente qui le rend visible  c'est aussi le corps encore allongé quand la nuit reste encore un peu  la rondeur de la pénombre lovée au nouveau jour  un pan de liberté gonflé de mélancolie  les bras levés les mains en tête de cygne   une absence arpentée près du cou   la contradiction de l'imagination là où il y a l'oubli du jeu  la réalité consistante à l'esprit   le mince symbole manifeste  chacun de nous dans la mesure d'ombre et de lumière et l'immensurable bruissant à l'épreuve   quand chasser l'onde livide par les palmes exprimées la nuit  le corps le matin toujours à sa place a son habitude


vendredi 11 janvier 2019

Figure



Turbulence


la turbulence en soi serait  comme porter des pensées dissidentes  à demi-mot s'entendre partir  mais partir plus près de soi   ou bien s'entrelacer   s'entrelacer doublement au rythme   danser au mot près à la dérive


mercredi 9 janvier 2019

bleus du ciel et de la mer chimère en pente douce

                             


L'oeil

[...] elle voit encore la porte à deux battants, mais ce qu'elle ne voit pas, c'est que les battants ne veulent pas jouer avec elle, qu'un battant de la porte s'élance sur elle, et à la fin elle pense, tandis qu'elle est projetée sous une grêle de verre brisé et que grandit la sensation de chaleur provoquée par le choc et le sang qui jaillit de sa bouche et de son nez : Ayez à l'oeil ce qui vous tient à coeur.

                          Ingeborg Bachmann, Trois sentiers vers le lac
                          [Les yeux du bonheur - Georg Groddeck in memoriam]


samedi 5 janvier 2019

Exil

                               
                                         La Madeleine # I.19


Limpide

laissée froide par l'eau de neige  la nuit blanche du rêve compose l'air impassible de la lampe à côté d'elle  les rythmes et les silences vont de pair  ce qui s'écoule de l'espace n'est pas le temps  mais après l'heure attendue le retard éclaire  les mots allongés se noient dans l'oubli   longuement est une paresse comme l'hiver est une dispute limpide avec la lumière


mercredi 2 janvier 2019

Sensualités




Chaque

                       À chaque ligne : « Halte ! »
                       À chaque point ― trésor !
                       Oeil ― lueur ! En toi, ma place :
                       Je m'installe, me dissous
                       En tristesse ... en guitare :
                       Je m'accorde,
                       Je m'ajuste.

                          Marina Tsvetaeva, Après la Russie
                                        [22 janvier 1925]